22 mai 1970 5 22 /05 /mai /1970 18:09

Sur un mot révélateur de Laurence Parisot :
« La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
par Jean-Michel Muglioni

En ligne le 7 déc. 2007


Jean-Michel Muglioni examine la question rhétorique lancée naguère par Laurence Parisot : la vie la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? (1) Il s'agit en réalité d'une maxime. Elle dit l'abolition de la loi, qui réduit la précarité, au profit d'une prétendue "nature" pour le plus grand bénéfice de quelques-uns. Elle révèle aussi, à travers une étrange vision de la santé, de l'amour et du travail qui érige l'échec en loi, une sombre conception du monde humain où la fonction politique n'a pas pour fin l'émancipation, mais la normalisation et la génuflexion devant le seul dieu qui compte désormais : l'argent.
Le plus difficile dans cette affaire est de comprendre pourquoi de tels propos peuvent être tenus sans faire de vagues.

Sommaire de l'article :

Naturalisme patronal
C'est la précarité du travail qui est une maladie !
L'amour est-il précaire ? Eriger l'échec en loi
Le primat de l'économie est idéologique
Honneur ou cupidité, il faut choisir
La valeur et la fin du travail 
Le salaire a-t-il cours dans un monde de brigands ? 

La remise en cause du droit du travail est devenue possible parce qu’elle ne suscite plus la réprobation de l’opinion. Pour que la loi puisse s’opposer au règne de l’argent, il faut en effet que les hommes soient intimement convaincus que l’argent est un faux dieu, c’est-à-dire désirent des biens d’un autre ordre, infiniment supérieurs.
Partons d’un exemple on dirait fait exprès pour montrer à quel point l’opinion est devenue prisonnière de l’idéologie de l’argent roi et du même coup insensible à la honte. Laurence Parisot, qui préside le patronat français, a lancé cette formule : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? ». Mesurons l’indigence de cette pensée, cherchons pourquoi l’expression publique d’un tel mépris des hommes n’a entraîné aucune manifestation d’envergure.


Naturalisme patronal

D’abord, le travail et la santé sont-ils précaires ? La santé n'est pas précaire s’il y a une sécurité sociale qui permet aux plus démunis de se faire soigner. Et en effet la « précarité » qui tient au fait que l’homme, comme tout être vivant, peut tomber malade, est combattue par la médecine : la loi « naturelle » de la précarité de la santé n’interdit pas d’appeler le médecin. Rien n’interdit de mettre en œuvre une politique qui remédie à la précarité du travail, dans l’hypothèse où la précarité du travail serait analogue à celle de la santé, donc naturelle, comme le soutient Laurence Parisot. Certes, ces admirables artifices ne nous rendent pas immortels. Mais qu’une société ne soit jamais assez bien organisée pour que toute précarité disparaisse, cela ne veut pas dire que la société est par essence le lieu naturel de la précarité. Autant dire que la médecine est cause des maladies. Dans ces conditions il faudrait refuser de s’associer. On ne s’inscrit pas à un club de pétanque dont l’organisation rend précaire la possibilité de jouer aux boules : si elles ne font qu’entériner la précarité de la vie, les règles de la vie sociale n’obligent plus personne.
Pourquoi proférer pareille absurdité ? Pour nous faire croire qu’il est naturel que le travail soit précaire. L’homme est par nature un chômeur potentiel, de même que par nature il est mortel. La vie des hommes, même celle qui est rendue possible par le travail, est par sa nature précaire comme la vie en général dans le règne animal et végétal. L’homme de Laurence Parisot est un vivant qui non seulement ne peut comme les autres échapper à la loi naturelle et universelle des vivants, mais qui par dessus le marché doit ériger cette loi en principe social. Car cette prétendue loi de la précarité n’est pas d’abord une loi promulguée par les hommes, mais une loi naturelle. Il est vrai que si Laurence Parisot était conséquente, il lui faudrait avouer, comme pour la santé, qu’il est possible d’inventer un artifice qui corrige la nature. Mais le patronat veut que la loi civile épouse cette loi naturelle, ce qui revient à abolir tout droit : l’état de droit, en effet, n’a rien de naturel au sens où la maladie est naturelle. [ Haut de la page ]


C’est la précarité du travail qui est une maladie !

Du reste, le travail lui-même n’est pas naturel comme la maladie. Les hommes se sont mis au travail pour se donner un milieu humain qui les protège contre toute forme de précarité naturelle et rende possible une vie non pas animale ou végétale mais humaine : ils se sont donné une économie, c’est-à-dire un système de production qui les libère de la nécessité et leur permette de se consacrer à des activités d’un autre ordre que le travail proprement dit. Le travail n’est donc pas précaire par essence, mais par essence il est destiné à mettre fin à la précarité et c’est en cela que réside sa valeur – et pas en ce qu’il est salarié et permet de gagner de l’argent. Nouveau contresens donc. Il est vrai que si le travail n’est pas du tout précaire en lui-même ou en raison de sa nature et de la nature des choses, il ne peut le devenir que dans une société malade. La précarité du travail n’est pas analogue à la santé mais à la maladie. Elle n’est pas normale mais pathologique.
La proposition : « le travail est précaire comme la santé » est donc un pur non-sens. C’est un très mauvais effet rhétorique destiné à nous persuader qu’il est dans la nature des choses de renvoyer un salarié quand on le désire. On sait qu’aujourd’hui le salarié français est mis au chômage parce qu’on trouve ailleurs des salariés qui coûtent moins cher, politique délibérée contre laquelle personne n’a su se défendre et qui consiste à utiliser la mondialisation pour revenir sur ce que quelques siècles de lutte sociale et politique avaient conquis.


L’amour est-il précaire ? Eriger l’échec en loi

Passons à la précarité de l’amour. « Le travail est précaire comme l’amour » cette proposition révèle cette fois une conception de l’amour, du divorce, et du travail qui déshonore celui qui la partage. Si elle veut dire qu’aujourd’hui la plupart des couples divorcent, et que par conséquent il faut admettre que salariés et patrons divorcent de temps en temps les uns des autres, cette comparaison au goût douteux revient encore à ériger l’échec en norme naturelle puis civile, et elle laisse en plus entrevoir une conception étrange du rapport entre le salarié et celui qui le paie : car l’échec d’un mariage et celui d’un contrat de travail ne sont pas du même ordre, à moins qu’il faille aller travailler par amour de son patron. Mais nul n’est tenu d’aimer Laurence Parisot, d’autant qu’elle a une conception étrange du divorce, puisqu’elle demande aussi que le patron puisse renvoyer sans raison un salarié comme le stipulait pour les plus jeunes le Contrat de Première Embauche (CPE) : ainsi le droit islamique stipule qu’il suffit au mari de dire trois fois devant témoin : « je te répudie », pour que sa femme soit renvoyée. Mais le pire est de faire passer la présente valse des divorces pour liée à la nature de l’amour. La philosophie platonicienne de l’amour a dominé l’occident depuis plus de deux mille ans (et pas seulement sous la Renaissance florentine). Que donne-t-elle à penser ? Que l’amour est amour de l’éternité. Qu’il est ce par quoi l’homme n’est pas un animal et aspire à un ordre de choses qui échappent à la précarité. Un certain degré d’inculture permet de dire n’importe quoi.


Le primat de l’économie est idéologique

Mais si l’opinion réprouvait de tels propos et les tenait non pas seulement pour faux mais pour honteux, personne n’oserait les soutenir en public. Nous sommes revenus à une époque où personne n’est plus déshonoré par rien : car seul compte l’argent. Or qu’est-ce qui fait l’opinion ? Il n’y a plus de pouvoir spirituel. L’école a pris le parti de s’ouvrir sur le monde et se soumet à ses exigences, au lieu de remplir son rôle de formation des esprits. Sa vraie fonction n’est pas de socialiser les hommes mais de les mettre en garde contre la société qu’ils devront subir ou changer. Elle n’a pas à inculquer des valeurs mais à montrer la vanité des faux dieux par lesquels les pouvoirs dominent les hommes. Ainsi apprendre l’arithmétique dans une véritable école, c’est déjà apprendre à distinguer le vrai du faux et par là éveiller en soi l’exigence critique. Je soutiens donc que si l’argent l’a emporté comme s’il avait une force propre, la place lui était laissée libre par l’Eglise et l’école et même la recherche scientifique. La victoire du temporel sur le spirituel tient à la faillite des clercs. L’obsession du développement économique ou de la croissance provient d’abord de thèses philosophiques. Le mépris de l’instruction élémentaire aussi bien et pour la même raison : il faut apprendre le dernier cri en matière de science parce qu’il est le plus utile pour l’industrie. Et donc instruire, s’en tenir à l’élémentaire et avancer par ordre ou pratiquer une science pour comprendre et non en vue d’une utilité, cela est vain. De même une certaine critique littéraire et le scientisme ont eu raison des humanités. « La langue est fasciste », ce slogan n’a pas été inventé par un chef d’entreprise ou par un homme de télévision, mais par un professeur de lettres de haut vol. Voilà pourquoi il est permis de dire que le mal n’est pas venu du dehors mais du dedans. Voilà pourquoi le pouvoir de l’argent repose non pas sur une défaite de la pensée, vaincue par plus fort qu’elle, mais sur la renonciation de la pensée à ses propres exigences. Le règne de la nécessité n’a pas empêché l’esprit d’apparaître ; les peintures des grottes de Lascaux en apportent le témoignage. L’abondance et la puissance économique y parviennent : s’il était vrai que notre prospérité nous endort, faudrait-il militer contre les progrès techniques et industriels ? Le primat de l’économie sur tous les autres aspects de la vie humaine caractérise plus les sociétés riches que les sociétés pauvres, ce qui suffit à prouver qu’il a pour principe l’opinion et non la nécessité.
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Honneur ou cupidité, il faut choisir

L’économie ne produit l’idéologie qui en justifie l’hégémonie que si premièrement la passion de l’argent a assuré dans les cœurs et dans les esprits sa domination sur les autres intérêts. Ainsi en France les cérémonies de distribution des prix des lycées sont depuis longtemps tombées dans le discrédit ; afficher dans un établissement scolaire un tableau d’honneur ferait aujourd’hui pleurer de rire. Mais l’amour du savoir n’étant plus soutenu par le sentiment de l’honneur, il ne trouve d’autre mobile auxiliaire que l’appât du gain. Ainsi 1968, sous couleur de révolution morale et intellectuelle, a fortement contribué au règne de l’argent, l’argent seul mobile, la convoitise – non pas seulement avant la justice et la vérité, mais avant l’amour et l’honneur. De là la disparition de la honte. Je me souviens du jour où mes enfants, âgés d’un peu plus de dix ans, m’ont raconté qu’on trichait au collège dans les exercices notés : ils ont éclaté de rire lorsque je leur ai dit que s’ils étaient punis nous doublerions la sanction. Il sera bientôt impossible d’organiser un concours que la fraude ne dénature pas. La concurrence comme principe, c'est cela, et ce qu’on appelle le sport en est un bel exemple, idéologique de part en part. On ne cesse donc de déshonorer l’humanité par des propos (je ne dis rien des actes), qui ne choquent plus personne, comme s’il allait de soi qu’elle est composée de truands qui cherchent à l’emporter les uns sur les autres : rien en effet n’est plus précaire que la vie dans le milieu. Des millions de téléspectateurs sont ravis de se voir considérés comme les membres d’une espèce régie par cette loi naturelle de la précarité dans les jeux même qu’on leur propose, qui sont l’imitation de la guerre sociale. Or le jeu, si c’est un jeu, n’a pas pour but d’éliminer les faibles. De même travailler, c’est coopérer avec les autres et non chercher à les détruire. On voit les ravages d’un darwinisme de pacotille qui fait du panier de crabes le modèle de la vie et de la société. Mais on sait que les êtres vivants ne vivent pas naturellement dans une nasse.


La valeur et la fin du travail

D’un tel état d’esprit il résulte nécessairement, comme de la nature du triangle ses propriétés, que l’idée du travail bien fait ne mobilise plus guère. Exercer un métier, ce n’est plus remplir une fonction mais chercher à gagner de l’argent. Or remplir une fonction est noble : qu’il n’y ait pas de sot métier, nul ne sait plus ce que cela veut dire. L’honneur du service social n'est plus éprouvé. Le mépris du service public culmine dans l’idéologie selon laquelle seul un établissement privé, c’est-à-dire à but lucratif, peut fonctionner sainement. L’argent seul garantirait donc l’honnêteté ? Il n’y a là que contradictions. Mais ce n’est pas une simple question de logique du discours. J’ai entendu la très honnête femme d’un médecin soutenir que les professions libérales avait pour but l’enrichissement personnel, oubliant que son mari ne comptait pas son temps au service des malades, et que la santé publique, au vrai sens du terme, était son premier mobile, sa passion prédominante, quoiqu’il exerçât dans une entreprise privée au sens juridique du terme. Les hommes en viennent à tenir des discours qui vont contre leur pratique, jusqu’au jour où la théorie transforme cette pratique et son sens. Il n’y aura bientôt plus de médecins dans les campagnes ; il n’y aura bientôt plus du tout de médecins, mais des techniciens au service des laboratoires pharmaceutiques et des industriels fabriquant de machines pour les hôpitaux. Car ces industries n’ont pas pour objectif la santé des malades mais celle de leurs actionnaires.
Or mal parler des hommes et de leurs passions n’est pas simplement une erreur théorique : ils ne manqueront pas de se conformer à l’image d’eux-mêmes qui leur est imposée partout. A force de leur dire qu’ils ne sont mus que par l’appât du gain, à force de les mener seulement par la carotte et le bâton, on en fait des ânes insensibles en effet à tout autre mobile. Soutenir partout que l’homme n’a d’autre intérêt que l’argent finit par persuader que l’argent est le seul dieu. Une fois les mobiles que sont l’amour ou l’honneur ignorés et dénaturés, qu’on ne s’étonne pas si les hommes travaillent sans enthousiasme lors même qu’on leur offre de l’argent ; ou plutôt parce qu’on ne leur offre que de l’argent. Les premiers capitalistes, selon Max Weber, espéraient le ciel. Qu’on ne s’étonne pas si certains préfèrent parfois travailler à mi-temps avec un petit salaire plutôt que de consacrer leur vie au travail avec de gros salaires. Un professeur qui avait pris trop jeune sa retraite parce qu’il voulait fuir le désordre de l’institution s’est entendu dire par un homme de cabinet qu’il avait eu tort, parce qu’il ne pourrait pas profiter de la réforme des heures supplémentaires qui lui aurait permis d’arrondir ses fins de mois. Or un professeur a-t-il choisi d’enseigner la vérité à ses élèves pour s’enrichir ? L’auteur de ces lignes, qui sait quel mépris pour sa fonction a présidé au calcul de son salaire, aurait-il mieux compris et enseigné Platon s’il avait été mieux payé ? Croire que c’est là la question est rigoureusement insensé. Les infirmières remplissent-elles encore leur fonction parce qu’elles sont payées ? Trop bel exemple encore, puisqu’on peut déterminer le nombre d’heures de travail gratuit qu’elles ont passées à l’hôpital.
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Le salaire a-t-il cours dans un monde de brigands?

Mais qu’est-ce en vérité que le salaire ? Il ne paie pas et il n’a pas à payer le travail ; il doit donner au travailleur de quoi vivre humainement en dehors de son travail. Il n’a pas pour signification première d’être une carotte mais de permettre de bien vivre, de mener une existence affranchie de la nécessité. Un travail en effet ne rapporte rien à celui qui l’accomplit, mais profite aux autres hommes, comme la médecine au malade ou la production industrielle aux consommateurs et non aux producteurs. Travailler, c’est d’abord travailler pour autrui et non pour soi, et telle est la raison pour laquelle tout travail mérite salaire comme on dit. A supposer, il est vrai, qu’on soit dans une société où l’on produit pour consommer et non où l’on pousse à consommer pour faire marcher une machine industrielle dont la finalité est l’argent.
Que donc l’espoir d’une augmentation de salaire puisse servir de mobile auxiliaire aux meilleurs d’entre les hommes, c’est vrai. Mais si tel est le mobile principal, alors nous n’aurons plus d’infirmières ni d’instituteurs. Nous n’aurons plus de professeurs d’université ni de chercheurs. Le temps est déjà passé où chaque famille de la classe dirigeante tenait à ce que l’un des siens devienne professeur de droit, de médecine ou de littérature. Nous n’aurons donc plus d’artistes mais seulement des stars vues à la télévision. Bref, nous aurons un monde de brigands obsédés par le souci de l’emporter les uns sur les autres. S’il était vrai que l’argent est le mobile principal des hommes, le vol serait en effet justifié. Il serait même l’essence de la vie sociale. On ne s’étonnera pas qu’il ait fini, comme la triche, par ne plus être réprouvé. Il ne passe pas pour honteux mais pour onéreux. A quoi bon me donner de la peine, en effet, si je peux m’enrichir autrement ? Et donc pour gagner plus, travaillons moins ! Le droit du travail est décidément devenu inutile.

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, déc. 2007

1 - Le Figaro, 30 août 2005.

Mezetulle attire l'attention des lecteurs sur la substantielle discussion qui suit dans les commentaires de cet article.
Du même auteur sur ce blog :
- Le droit des riches
- Réflexions d'un sondé sur le despotisme démocratique 

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commentaires

E
La suite......toutes ces conditions sont nécessaires à la reproduction même de la force de travail, et son incompatibles avec la loi de la mobilité universelle et permanente. Ainsi, le Contrat de Travail à Durée Indéterminée (CDI), qui reste encore la forme dominante d'emploi (pour combien de temps?), est l'illustration exemplaire de cette nécessité de liens permanents: le capitalisme doit son efficacité à l'existence d'institutions stables et de relations durables, y compris dans les entreprises. Même les théories économiques du courant dominant ont mis en avant depuis longtemps la supériorité, en termes de productivité du travail, d'une relation garantie, fondée sur un minimum de confiance et de loyauté réciproque entre les parties, sur les formes contractuelles minimales. On voit bien aussi en France, que c'est l'existence de solidarités extérieures au lien marchand (revenus de transfert, solidarité familiale) qui permet au corps social, et particulièrement à la jeunesse, de supporter encore les progrès de la libéralisation du marché du travail et la montée de la précarité. On a vu par ailleurs avec l'expérience ratée du Contrat Première Embauche, que le corps social n'est pas encore mûr pour aller encore plus loin dans le sens de ce programme, ce qui montre que l'endoctrinement libéral n'est pas encore complètement abouti...Cette utopie de la "mobilité" n'a donc non seulement rien de "naturel" (ce qui ne signifie absolument rien concernant l'organisation des hommes entre eux), mais va à l'encontre même des possibilités ultérieures de développment du capitalisme, qui ne peut durablement détruire ses propres fondements externes.Enfin, pour la petite histoire, la maxime de Laurence Parisot prend une tournure encore plus savoureuse quand l'on sait que sa position ne doit rien au hasard, ni aux compétences propres d'un individu isolé: elle est, par sa propre filiation, l'archétype même de l'héritière du capitalisme familial traditionnel (en l'occurence une société de meubles réputée pour ses méthodes archaïques en matière de gestion du personnel): on est très loin de la "self made woman" à la Bill Gates...Il faut un sacré toupet pour proclamer ainsi la supression totale de toutes les formes de stabilité et de garanties dans l'existence, alors qu'on est soi-même le pur produit de l'hérédité sociale, c'est-à-dire le prolongement ultime de tout ce qu'il y a de plus immobile et permanent dans la société aujourd'hui, et ceci depuis deux siècles: les rapports sociaux de production.<br />
M
<br /> Merci pour vos analyses.<br /> Juste une remarque sur la fin du commentaire : il me semble que si, comme le fait l'article de J.M Muglioni, et comme vous le faites aussi de manière différente dans vos commentaires, on peut<br /> légitimement critiquer les déclarations q'une personne publie et en analyser la portée (et en l'occurrence il s'agit de plus d'un responsable de la société civile), en revanche je trouve qu'il<br /> n'est pas nécessaire (ni d'alleurs très élégant) de lui reprocher d'être ce qu'elle est.<br /> <br /> <br />
E
 <br />  Au moment où Laurence Parisot fustige le droit de grève et accuse certains syndicats de salariés de contribuer à la baisse de l'emploi (cf les propos tenus à propos de la journée de mobilisation du 19 avril 2009), il n'est pas inutile de revenir sur cette fameuse naturalisation des lois du capitalisme.Je souscris globalement à l'analyse que vous faites de cette maxime, qui est effectivement particulièrement révélatrice de l'"esprit du temps". Je partage aussi votre étonnement à propos du peu de réactions qu'a suscité cette phrase: ma thèse est que la domestication des esprits entreprise depuis la fin des années 1970 a grandement porté ses fruits. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si à la faveur de la crise actuelle, nous assisterons ou non à de profondes révisions idéologiques, non pas dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'opinion", mais plutôt chez nos "faiseurs d'opinion".On sait depuis Polanyi que le capitalisme n'a pu se développer et perdurer non pas malgré l'existence de logiques extérieures à l'intérêt et au marché (les valeurs dont vous parlez, mais aussi les liens familiaux, les institutions publiques etc...), mais grâce à elles. Ce fait anthropologique est fondamental.L'avènement de ce qu'on pourrait appeler un "capitalisme total", c'est-à-dire dont les principes fondamentaux déterminent l'ensemble des activités humaines et des relations interpersonnelles, jusqu'à l'éducation, la culture et l'amour est une utopie qui semble en passe de se réaliser: nous parvenons effectivement à l'apogée de ce que vous appelez "cette sombre conception du monde humain où la fonction politique n'a pas pour fin l'émancipation, mais la normalisation et la génuflexion devant le seul dieu qui compte désormais: l'argent".Or il y a tout lieu de penser que ce programme d'un capitalisme sociétal total, résumé par la phrase de Laurence Parisot, porte en lui de telles contradictions anthropologiques qu'il ne pourra durablement s'installer. Pour comprendre cela, il me semble nécessaire d'expliciter en quoi consiste ce programme (ou cette utopie), qui ne peut se résumer par la seule formule, certes pratique et tout-à-fait juste, du " culte du Dieu argent". Certains commentaires ont appuyé à juste titre sur la notion de "mobilité" du travail, qui est effectivement au coeur de cette utopie, et qu'on retrouve dans cette obsession libérale de la précarité, non pas seulement professionnelle, mais existentielle.Afin d'éclairer tout le sens de la maxime de L. Parisot, je propose de citer longuement J.-C. Michéea, qui expose très clairement ce "nouvel esprit" du capitalisme, en montrant qu'il n'a rien à voir avec l'ancien ordre "bourgeois" (in "Impasse Adam Smith"): "Or, à quelles conditions anthropologiques - je laisse de côté le problème évidemment crucial des limites écologiques - un tel schéma de fonctionnement est-il concevable? La réponse est évidente: pour que les équilibres promis par Adam Smith puissent être satisfaits, il faut nécessairement que chaque opérateur humain - quelle que soit sa place sur ce marché unique dont la concurrence est supposée parfaite - soit disposé à chaque instant de sa vie, et cela sans la moindre hésitation psychologique, à changer sur le champ, dès que l'Economie l'ordonne, d'habitudes, de profession et (c'est la condition la plus fondamentale) de lieu de résidence. Autrement dit, les prophéties historiques du systême capitaliste (l'enrichissement de tous dans un monde pacifié, toujours plus libre et toujours plus heureux) ne peuvent s'accomplir que si, et seulement si, chaque individu de la commercial society (comme l'appelle Adam Smith) a définitivement intériorisé la nécessité mentale d'être intégralement flexible, mobilisable à tout instant, et prêt à vivre quotidiennement comme un atome absolu - ou une "particule élémentaire" -pour lequel tout lien et tout engagement envers autrui, représentent a priori un obstacle à la poursuite de ses intérêts bien compris, et une dépendance psychologique inacceptable. On voit aussitôt que l'homme sans qualité du capitalisme idéal - cet homme qui n'est chez lui nulle part et dont toute l'existence doit impérativement se réduire à une série de ruptures et de déménagements -ne trouve qu'une réalisation très imparfaite dans le modèle du bourgeois balzacien ou de l'industriel provincial des films de Chabrol." [...] Ce que Boltanski et Chiapello ont appelé avec tant de raison, le "nouvel esprit du capitalisme", ce moment historique où la mobilité des individus devient une force productive directe, est bien une des dernières formes que doit prendre l'esprit humain lorsque le développement effectif du Capital tend, pour parler en philosophe, à "rejoindre enfin son concept". Inutile de dire que la figure qui incarne le mieux cette fin commençante de l'Histoire n'est pas le bourgeois balzacien. Le "nomade Bouygues", ersatz pathétique d'humanité, destiné à vivre comme un poisson dans l'eau dans le monde selon Gates, me paraît être un exemple beaucoup plus approprié."On voit bien qu'au delà d'un vague "culte de l'argent", l'essentialisation de la précarité, à travers la disparition "de tout lien et tout engagement envers autrui" autre que celui du contrat de droit privé, est au coeur du programme du "capitalisme total". Il s'agit bien de la fabrication d'un "Homme nouveau" d'un type très particulier.Plus loin, Michéa montre que ce nouveau programme anthropologique s'accompagne d'une mythification de l'éternelle jeunesse, au détriment du temps long de l'éducation, de l'héritage et des liens intergénérationnels:"Cette terreur absolue de devenir adulte, c'est-à-dire d'assumer le fait qu'il nous faudra un jour à notre tour laisser la place (sans cette supposition l'acte de transmettre, qui est l'acte adulte par excellence, n'a plus le moindre sens), cette terreur n'est bien entendu que l'envers du mode de vie auquel nous contraignent les progrès du capitalisme moderne. Car, même en faisant abstraction du fait que toute société progressiste -vivant par définition à l'ombre de l'avenir - est philosophiquement tenue de mythifier la jeunesse (qui représente officiellement l'avenir), il existe des raisons spécifiques permanentes, sous le règne du Capital, pour transformer l'absurde désir de rester jeune pour l'éternité en impératif catégorique. L'existence du "Nomade Bouygues" - perpétuellement déplacé sur l'échiquier du monde en fonction des ordres de l'Economie et du Spectacle - exige, en effet, non seulement une santé physique à toute épreuve mais, surtout, une capacité de vivre sans jamais s'impliquer dans des relations profondes et durables (ce qui ne signifie pas, naturellement, indissolubles et éternelles). Or le moment de la jeunesse - qui est celui où pour devenir soi-même on ne peut faire autrement que rompre, d'une façon provisoire ou définitive, avec ceux qui nous ont permis, bien ou mal, d'arriver jusque là, est peut-être le meilleur modèle qui soit d'une vie intégralement accordable avec les présupposés métaphysiques du Capital; c'est-à-dire la nécessité de tourner perpétuellement le dos à son passé et de ne nouer avec les autres que des relations essentiellement passagères. Toute la question, cependant, est de savoir jusqu'à quel point notre corps, et notre psychisme, peuvent, sans défaillir, soutenir cette contrainte capitaliste d'une jeunesse éternelle, c'est-à-dire d'une existence à jamais atomisée et perpétuellement mobile."Que retenir de cela, sinon que la précarité existentielle réclamée par le nouveau capitalisme est une utopie non seulement effrayante, mais intrinsèquement contradictoire. Car le capitalisme repose avant tout sur série de reproductions (reproduction sociale, reproduction de la force de travail), et nécessite l'existence d'un substrat - extérieur à sa logique propre -de relations sociales stables. La solidarité des liens familiaux, la formation de la main-d'oeuvre, la socialisation nécessaire pour obtenir des comportements suffisamment prévisibles des agents, et plus simplement la possibilité même de fonder une famille, d'avoir des enfants et de les éduquer...toutes ces conditions sont nécessair
D
Laurence Parizot devrait aller jusqu'au bout de sa logique : la vie est précaire. Pourquoi donc s'indigner d'un assassinat ? D'une mort accidentelle (surtout s'il s'agit d'un accident du travail, presque systématiquement passé sous silence par la presse) ? De la mort de vieillards par un été plus chaud que les précédents ou par un hiver un peu plus froid ?Comme l'affirment les astrologues (et d'autres), lorsque l'heure est sonnée, rien ne peut s'opposer à l'issue. Mort d'un coup de couteau, d'une ambolie ou d'une pleurésie, qu'importe, il (elle) devait mourir à cet instant. Laissons donc les assassins tranquilles, laissons ceux pour lesquelles la vie est devenue trop pesante partir quand ils le désirent, et laissons les aider ceux qui acceptent ce rôle.Dans cette logique, les entreprises sont précaires. Nulle n'est à l'abri d'une faillite. Souvenez-vous : Enron, Manufrance, la sidérurgie de Longwy, etc. Pourquoi donc renflouer celles qui sont sur la mauvaises pente ? Crédit Lyonnais torpillé successivement par ses implications dans les affaires Bernard Tapie, puis dans les fantasmes américains de Pinault. Pourquoi les contribuables ont-ils été préssurés pour son renflouement ?Allons jusqu'au bout de cette logique : Mme Parizot est précaire, M. Sarközy de Nagy-Bocsa est précaire. Pourquoi ne pas les pendre ?L'un comme l'autre disposent de sbires qui veillent jour et nuit sur leur peau. Pourquoi avoir retiré au reste de la population le droit de détenir une arme, le droit de préserver cette peau précaire à laquelle chacun tient éperdûment ? Ne répondez pas que la police et les gendarmes sont là. Ils ne viennent que sous de nombreuses conditions : les appeler (il est rare qu'un agresseur laisse le loisir d'appeler ses gens), que ce ne soit pas pendant un "grand week-end" car tous les effectifs sont sur les routes en train d'extorquer l'argent des automobilistes (les petits, pas ceux qui "ont des relations") à l'exception d'un planton-téléphone, que ce ne soit pas la nuit d'un week-end ordinaire car les postes de police, les brigades de gendarmerie prennent la garde à tour de rôle et le poste qui veille sur vous peut être à une demi-heure de route, etc.La logique ouverte par Mme Parizot est intéressante, mais il faut en tirer toutes les conséquences... dont certaines déplairaient fort à cette dame.
M
Jean-Michel Muglioni, auteur de l'article, vient de m'envoyer cette réponse au commentaire n°3. Je m'empresse de publier cette substantielle contribution, en le remerciant.C. Kintzler*******Libéralisme politique ou économique ?J’ai proposé une réflexion générale sur la manière dont aujourd’hui le travail est considéré et le slogan de Mme Parisot m’est apparu particulièrement révélateur de l’air du temps. Je n’y vois ni un accident, ni une simple maladresse rhétorique, mais l’expression de ce que vous appelez le libéralisme et dont le monde anglo-saxon nous est sans cesse proposé comme le modèle. Votre vocabulaire ne m’étonne donc pas. Mais le terme de libéralisme est d’une grande ambigüité. Il désigne outre atlantique la gauche, en France la droite, et en effet, il ne s’agit plus chez nous (dans le débat public et non dans les catégories universitaires) d’un libéralisme politique mais économique. S’il est vrai qu’au début du XIX° siècle en France les libéraux défendent le citoyen contre le pouvoir politique, ils défendent aujourd’hui certains intérêts économiques et financiers, sans remettre en cause ce qu’il y a de contestable dans nos institutions et nos pratiques politiques, par exemple la toute puissance du président de la république. Le patronat français lutte-t-il contre la concentration des pouvoirs médiatique, économique et politique ? Il n’est donc pas libéral s’il faut dire libéral un homme qui combat pour la liberté des citoyens contre les pouvoirs, tous les pouvoirs, tandis que mon propos est libéral, lorsqu’il rappelle en quelques mots le rapport du travail et du droit.La mobilité de l’emploiVous voulez maintenant qu’on ne prenne en compte que la mobilité du travail, qui n’était nullement mon propos. Je suis persuadé de mon côté que vous ne jouez pas sur les mots, faute de quoi tout dialogue en effet est impossible. Je ne doute pas un instant de votre sincérité ni même de celle de Mme Parisot : elle est sûre de son bon droit. Parlons donc de mobilité de l’emploi et non de précarité du travail. Car si l’on s’en tient non pas à l’usage médiatique des mots mais au bon usage de la langue, comme je tâche de le faire, et c’est en effet très difficile, précarité et mobilité sont deux choses totalement différentes. Je ne crois pas que la confusion vienne de moi. Ainsi un militaire qui déménage tous les trois ans est mobile. Il est vrai qu’il ne change pas alors de métier, pas plus qu’un sous-préfet. Mais qu’un salarié quelconque doive changer de métier et de résidence, cela n’a rien à voir non plus avec la précarité - sauf pour un syndicaliste borné. Et j’avoue même qu’une société où les salariés ne seraient pas prisonniers toute leur vie du même emploi et devraient plusieurs fois passer d’une région du territoire à l’autre et seraient amenés en changeant de métier à se former sans cesse n’irait pas contre mes vœux : il est possible en effet qu’ils y acquièrent une plus grande liberté d’esprit qu’en restant enfermés comme autrefois dans un coron sous la coupe d’un seul employeur. Mais je ne crois pas que tel soit le projet de Mme Parisot. D’autant que rien n’est fait en France pour faciliter cette mobilité : par exemple, changer de logement, qu’on soit locataire ou propriétaire, est une longue entreprise, complexe et ruineuse.Le « faitalisme »Mme Parisot soutenait que le chômage est naturel. Et c’est cela que je considère comme un non-sens. Sur le fait de la précarité, je ne dirai rien de plus que Catherine Kintzler, sinon qu’en 1940, l’occupation de la France était un fait que de Gaulle a refusé d’entériner. On pourrait même montrer en quel sens il n’y a pas plus de fait économique que de fait militaire. Mais vous voyez là que le désaccord est profond : je ne cherche à convaincre personne mais seulement à montrer par une analyse quels sont les enjeux et quelles conséquences il faut tirer de tel ou tel discours. Ainsi je me suis bien gardé d’utiliser l’expression « droit au travail », n’étant pas sûr de bien comprendre ce qu’on entend par « droit à… » ; dans cette expression, en effet, le mot droit n’a pas le même sens que dans la Déclaration des droits de l’homme. Mais j’ai parlé simplement du droit ou de ce qu’on appelle aussi l’état de droit, considérant que les revendications du patronat français en sont la remise en question. Il est clair que sur ce point nous ne sommes pas d’accord et ce n’est pas une question de mots. Vous subordonnez la loi aux « faits » économiques. Je dis exactement le contraire, comme l’a bien compris Catherine Kintzler.République et libéralisme économiqueDans votre second commentaire vous avez le courage de dire que la précarité de l’emploi fait partie du contrat social (en quelque sorte, ajoutez-vous) dans le système libéral, que vous entendez donc au sens économique. Vous rendez-vous compte que vous mettez ainsi hors la loi tous ceux qui comme moi n’ont pas passé ce contrat ? Qu’un tel discours, que vous tenez de bonne foi et sans aucune mauvaise intention à notre égard, revient à nous rejeter hors de « votre » société ? Lorsque vous opposez le régime anglo-saxon à 1793, vous avez le mérite de montrer que vous refusez les principes sur lesquels repose la République Française, et c’est bien le drame de notre pays, qui est toujours divisé entre ceux qui ont admis la révolution et ceux qui, comme vous, l’ont refusée, partage qui a été celui de la gauche et de la droite autrefois et qui traverse aujourd’hui autant la gauche que la droite.Il faut même que ce soit un historien anglo-saxon qui écrive un livre (sa traduction française vient de paraître : Aux armes citoyens, deux siècles d’histoire de la Révolution française, Eric J. Hobsbawm La Découverte) pour rendre hommage à 89 que beaucoup de nos historiens, Furet en tête, ont déconsidéré. Je disais dans mon article que la renonciation aux principes vient des clercs, et votre discours répercute le leur. Il est convenu de combattre le républicanisme dont 93 est l’expression, autant sinon plus que 89, comme on voit assez bien dans le livre de Victor Hugo. Mais Hugo ne se lit plus guère dans les écoles, pour les raisons que mon article a données.Droit et prospéritéUne interprétation idéologique de la réussite économique du monde occidental domine tous les débats depuis longtemps. Le libéralisme économique serait le fondement des libertés publiques dans cette partie du monde et l’échec du communisme tiendrait à ce qu’il a refusé ce système économique. Comme l’a bien vu Catherine Kintzler dans la réponse qu’elle fait à votre premier commentaire, vous pensez en terme d’opposition entre libéralisme et communisme. Or cette opposition n’a de sens que pour les prisonniers de la caverne qui prennent l’ombre pour la réalité. Je suis sévère et rapide, mais je veux seulement marquer notre désaccord total. Les deux systèmes sont fondés sur le primat de l’économie et vous avez sans doute compris que pour cette raison je les mets dans le même sac. D’où vient donc la réussite présente ou plutôt passée de l’un et l’échec de l’autre ? De ce que chez nous depuis l’Athènes antique, et malgré des périodes très sombres, il y a un état de droit : même le despotisme de Louis XIV est tempéré par quelque chose comme la loi, ce que le régime tsariste n’a jamais connu. C’est parce que nous sommes dans un état de droit que la libre entreprise a été possible et non l’inverse. La réussite des pays anglo-saxons tient à leur tradition de liberté politique. N’imiter que leur libéralisme économique en limitant sans cesse le règne de la loi, c’est courir à l’échec - échec aussi bien économique que politique. Imitons d’abord les cérémonies des universités américaines où le sens de l’honneur est plus présent que partout chez nous, particulièrement dans le monde du travail. Les jeunes gens les plus brillants que j’ai vu partir dans l’entreprise avec enthousiasme sont généralement détruits quelques temps après par le mépris dont ils sont l’objet. Mais qui l’ignore ?Une remarque pour finir. S’il était vrai que la Chine peut adopter le libéralisme économique sans le fonder sur des institutions politiques libérales, alors le despotisme universel est l’avenir du monde, comme il est arrivé à Simone Weil de le penser.J’espère avoir ainsi clairement formulé un désaccord fondamental qui ne tient nullement à ce que j’aurai joué sur les mots. Tous les hommes n’accordent pas le même sens à la vie.
F
@Mezetulle:Mais non, je ne ramène pas la position de M. Muglioni au communisme... Et je ne lui impute pas non plus l'opinion que l'emploi devrait être fixe à vie dans la même entreprise... J'explicitais juste ce que je crois être le sous-texte de la critique de Parisot. Tout en soulignant, comme vous le faites, que cette rhétorique n'était pas très honnête. Ma critique de M. Muglioni est un peu du même ordre: de la même façon que Parisot caricature la position de ses opposants pour la réfuter plus facilement, il caricature la sienne: je ne pense pas du tout qu'elle récuse toute intervention de la loi dans les rapports de travail.Ceci dit vous avez raison, in abstracto, on ne peut pas vraiment dire que l'emploi est précaire par nature; mais on ne peut pas non plus dire l'inverse! L'emploi est une création humaine, le fruit d'une convention: on peut le décréter stable comme on peut le décréter précaire. En voulant réfuter M. Muglioni, qui semble affirmer que l'emploi est stable par nature et que le fait de le rendre précaire est le fruit d'une décision politique délibérée, j'ai affirmé l'erreur inverse.Il reste que, dans un système économique libéral, l'emploi est précaire: cela fait partie du contrat social, en quelque sorte. Le système économique libéral repose en effet sur le principe, notamment, d'une allocation optimale des ressources. Dans ces conditions, on peut être amené à changer d'emploi pour des raisons imposées par l'évolution économique. Ce sont les conditions juridiques, techniques et économiques de cette réallocation des compétences qui font débat.Quant au "droit au travail", j'avoue que c'est une notion qui m'échappe un peu. Le droit à un revenu, je le comprends. Mais le travail n'est pas quelque chose qui se décrète.Les références à la constitution de 1793, enfin, ont toujours un peu le don de m'inquiéter. Ce texte et son histoire illustre bien le fait que ce ne sont pas tant les idées que les actes qui font avancer le monde. Des siècles de cohabitation entre sectes concurrentes, aux Provinces Unies ou en Angleterre, ont assurément plus fait pour la démocratie et les droits de l'homme que la déclaration du même nom.
M
En fait, l'expression "droit au travail" n'est pas exacte et vous avez raison de relever cette imprécision, je citais de mémoire. Les textes sont bien plus intéressants.Je dis bien les textes car il y a deux textes appelés "Constitution de 1793". Je m'en tiens ici à la Déclaration des droits qui ouvre chacun de ces deux textes.Le premier (dit improprement "Constitution girondine") est un projet de Constitution daté de février, présenté par Condorcet, il inclut "la garantie sociale" au nombre des droits naturels, énumérés à l'article 1 :"Les Droits naturels, civils et politiques des Hommes, sont la Liberté, l'Egalité, la Sûreté, la Propriété, la Garantie sociale, et la Résistance à l'oppression. "C'est à ce texte que je faisais allusion, avec une mémoire effectivement défaillante.Le second, qui a été adopté, est la Constitution dite "Montagnarde" du 24 juin 1793. Il y est fait mention du travail à l'article 21 :"Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler. "Cette Constitution a été violemment critiquée par Condorcet - pas sur l'article 21 à ma connaissance, mais sur d'autres points qu'il trouvait lui-même inquiétants - ce qui lui valut un décret d'arrestation qui entraîna sa mort.Comme vous le voyez, la référence à la "Constitution de 1793" est plus compliquée qu'il n'y paraît... Je vous invite notamment à comparer les deux textes et je pense que vous seriez en grande difficulté de citer un passage "inquiétant" tiré de la Déclaration des droits du projet de février 1793 (et de celle de 1789 aussi bien sûr, texte repris en préambule de la Constitution de 1958). Je sais bien que c'est la mode de cracher sur la Révolution française, mais avant de prendre ce grand moment avec dédain comme vous le faites (en surfant sur un préjugé actuel), il faut regarder les choses et les textes de près. C'est d'ailleurs ce que j'aurais dû faire avant de parler improprement de "droit au travail".
M
-> commentaire n° 1 de FCIl me semble qu'il y a un décalage entre certains points de votre commentaire et l'article de J.M. Muglioni, de sorte qu'on pourrait vous retourner le compliment : vous tombez souvent "à côté de la plaque" ! S'agissant du travail salarié (c'est bien l'un des sujets, effectivement), vous parlez du constat d'un fait : il est vrai que celui-ci est précaire. Mais l'article entend opposer justement le droit au fait. A quoi bon le droit, s'il se contente d'enregistrer ce qui existe et de le généraliser ? Lorsque L. Parisot s'insurge contre l'idée qu'on puisse lutter contre la précarité du travail en la contenant par des lois, elle promeut une politique, et cette politique non seulement peut être critiquée du point de vue politique et social, mais elle peut être caractérisée philosophiquement comme un alignement du droit sur le fait. Sur la santé, Muglioni ne dit pas qu'elle n'est pas précaire en soi en tant que fait naturel qui nous est imposé mais qu'elle ne l'est plus à partir du moment où un système de sécurité sociale est mis en place. La précarité de la santé, c'est l'inégalité devant la maladie, devant la durée de la vie : toutes choses qu'un système de santé s'applique à combattre et à réduire. Le concept de "santé" change donc de sens selon qu'il désigne un fait purement naturel ou le dispositif technique et légal destiné à traiter ce fait et à l'humaniser par les soins et la solidarité. Quand je dis que je suis en bonne santé, le mot "santé" n'a pas le même sens que quand je parle de la santé publique, de la politique de santé. Enfin, vous faites allusion aux systèmes politiques qui dans le passé récent ont prétendu mettre fin à la précarité du travail : appelons un chat un chat, il s'agit du communisme. D'où on peut conclure que vous rabattez la position défendue par l'article sur le communisme : c'est un reproche implicite fait à l'auteur, qui le disqualifie. Comme s'il n'y avait que ce système pour représenter la position qu'il défend. Pour parler des pays du Nord justement, on pourrait regarder d'un peu plus près le système "flexsécurité". Muglioni ne dit nulle part que la sécurité du travail est identique à la fixité d'un emploi pour une personne pour toute sa vie active... or vous confondez expressément les deux notions. Réclamer une garantie de travail durant toute la vie active (au passage il faut noter que les préretraites coûtent très très cher) cela ne signifie nullement exiger un seul et même emploi "pépère" et ennuyeux... N'oublions pas que le droit au travail était déjà dans le projet de Constitution girondine de 1793 : on est loin, bien loin, du communisme ; et le propos de L. Parisot est bien régressif par rapport à ce qui a déjà été pensé à la fin du XVIIIe siècle.
F
La phrase de Parisot n'est pas d'une grande profondeur, mais votre réfutation me paraît, sauf votre respect, tout à fait à côté de la plaque.Déjà, ne jouons pas sur les mots: quand Parisot parle de "travail", elle parle de l'emploi salarié. Toute considération sur la valeur et le sens du travail en soi est hors sujet. Ca ne veut pas dire qu'elle n'attribue pas de valeur au travail bien fait. Ca veut dire qu'elle a choisi, dans cette phrase, de parler d'autre chose.Ensuite, elle n'appelle pas à l'abolition des lois et à l'instauration de l'état de nature, c'est un procès d'intention qui ne repose sur rien. Elle constate la précarité économique du travail, qui est un fait absolument irréfutable: on peut perdre son travail. Comme on peut perdre la santé, ou l'amour. Le parallèle me paraît avant tout d'une platitude sans nom.Après, on peut perdre son travail parce que le patron est cupide. On peut le perdre parce que les conditions économiques de l'emploi ne sont plus réunies. Ou pour des tas d'autres raisons, sur lesquelles on peut débattre. Mais il y a une chose qui ne fait pas débat: c'est que l'emploi est précaire, puisqu'il peut être là un jour, et plus là le lendemain. Là où Parisot est attaquable, c'est dans ce qu'elle cherche à faire dire à ce constat. Le droit du travail, en effet, est une réponse à la précarité de l'emploi, comme la médecine (et son financement collectif) est une réponse à la précarité de la santé. Sa critique implicite, dans cette phrase, est à mon avis que selon elle, le droit du travail à la française cherche à lutter contre la précarité du travail en la niant, en l'abolissant purement et simplement - un peu comme vous le faites. Elle s'insurge contre l'idée qu'on puisse mettre la précarité du travail hors-la-loi - de la même façon que vous semblez croire à une mise hors-la-loi de la maladie par la sécurité sociale... (je vous cite: "La santé n'est pas précaire s’il y a une sécurité sociale qui permet aux plus démunis de se faire soigner"... C'est un raisonnement des plus curieux... Le système de santé ne rend pas la santé moins précaire, il prend acte de la précarité de la santé, et tente d'y porter remède...).Des régimes ont prétendu mettre la précarité du travail hors-la-loi, au défi des lois de l'économie. (Il existe des lois de l'économie, et ce n'est pas placer l'argent au-dessus de tout que de le rappeler). Les pays concernés payent aujourd'hui ce déni au prix fort.Le droit du travail français relève-t-il d'un tel déni? C'est un avis tout à fait contestable. C'est celui de Parisot.Pour elle, existe d'autres réponse à la précarité du travail que sa protection par le code du même nom: l'assurance-chômage, associée à un effort accru de formation, et la croissance. La référence qu'elle utilise souvent est celle des pays nordiques. Le droit du travail français, selon elle, protège excessivement l'emploi existant, au détriment de l'emploi à venir. Sa phrase vise surtout à s'insurger contre l'idée d'un emploi à vie, l'idée que l'on entrerait dans une structure à 20 ans et qu'on passerait toute sa carrière, en vertu d'un droit imprescriptible à ne pas changer d'emploi.D'un certain point de vue, cette indignation de Parisot est assez hypocrite: aucun syndicat ne défend plus aujourd'hui une telle thèse. Le débat ne porte pas sur une alternative flexibilité ou sécurité, mais sur le degré d'engagement des entreprises dans la nécessaire flexsécurité. En somme, vous avez fait un très long commentaire général et philosophique sur une phrase qui n'était qu'une posture de négociation. Vous pouviez difficilement tomber juste dans ces conditions.

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